La radiesthésie

Sorcellerie moderne ?

A la suite de la publication de quelques documents photographiques sur le travail des sourciers, nous avons reçu un grand nombre de lettres de lectrices. Qu'est-ce au juste que la radiesthésie ? En quoi consiste cet art, cette science... Ou cette illusion ? Et jusqu'à quel point doit-on prêter foi à ces pratiques ? ... Nous a-t-on demandé.

Sorcellerie moderne ?

La radiesthésie est à l'ordre du jour. Comme au XVIIIe siècle, cette pratique ancienne fait actuellement beaucoup parler d'elle. Mais, si on lui reconnaît de fervents et éminents adeptes, on ne peut nier qu'elle compte aussi de farouches adversaires, non moins éminents, d'ailleurs. Des « pour » et des « contre » qui a raison ?

« Nouveauté », fidèle à sa ligne de conduite, se doit de documenter ses lectrices en toute impartialité. En cette matière comme en beaucoup d'autres, il est indispensable pour se faire une opinion, d'entendre les deux sons de cloche. C'est pourquoi nous sommes allé consulter successivement un adepte et un adversaire de la radiesthésie. Les deux thèses, chères lectrices, vous seront soumises telles qu'elles ont été recueillies, et c'est à vous qu'il appartiendra, si vous le désirez, de faire un choix.

M. L..., radiesthésiste convaincu et des plus distingués, nous reçoit avec une charmante cordialité.

— Mais certainement, je ne demande pas mieux que de vous donner quelques tuyaux sur notre art. La radiesthésie, vous ne l'ignorez certainement pas, plonge ses racines dans la sourcellerie (art du sourcier) ou rabdomancie (du grec rhabdos, baguette, et manteia, divination).

— Les sourciers sont des radiesthésistes, mais ces derniers sont plus que des sourciers. Leur matériel, d'abord, s'est transformé, amélioré; le champ de leurs recherches, ensuite, s'est étendu à d'autres domaines que celui de l'eau.

— Le baguettisant, ou sourcier, se servait uniquement, autrefois, pour déceler la présence des eaux souterraines, d'une baguette de coudrier généralement fourchue. Or, cet antique instrument, de nos jours, a fait place à un autre qui se compose de deux tiges flexibles reliées à une extrémité. C'est la « baguette » moderne. Elle est-le plus souvent en baleine naturelle ou en ébonite, matières « neutres » qui donnent d'excellents résultats.

— Cependant, si la baguette est toujours employée, elle a tendance à céder le pas au pendule, petite masse de verre, d'ébène, de métal, d'ébonite ou de cristal de roche, suspendue à un fil ou à une chaînette...

— Les instruments de travail du radiesthésiste sont donc uniquement la baguette et le pendule ?

— Non. Il y en a beaucoup d'autres, mais ces deux-là sont les principaux. Par ailleurs, il est des radiesthésistes qui opèrent sans aucun instrument...

— Ah ! bah !

— Mais oui. La baguette divinatoire n'est pas une baguette magique. Elle n'est, comme le pendule, qu'un amplificateur des sensations physiologiques, qu'elle permet d'interpréter par ses réactions. Pour quelques radiesthésistes, ces sensations sont si fortes qu'ils n'ont pas besoin d'instrument pour les déceler.

— Permettez... Ces sensations... Ou plutôt cette faculté de les éprouver, n'est-ce pas ce qu'on a nommé le « sixième sens » ?

— Ou « sens radiesthésique ». Parfaitement.

— Est-ce un don que possèdent seulement quelques individus privilégiés ?

— Tel n'est pas mon avis. Je crois que nous l'avons tous, mais à des degrés différents.

— Voilà qui est encourageant. Par conséquent, d'après vous, n'importe qui peut devenir radiesthésiste ?

— Oui. A condition de développer, donc de cultiver son... « sixième sens ».

— Je vous serais reconnaissant de me donner une définition exacte de la radiesthésie.

— Voici celle d'A. Lambert : La radiesthésie a pour objet l'étude des radiations émises par les êtres et les choses, en utilisant l'art d'interpréter certains phénomènes physiologiques engendrés en nous par des influences extérieures.

— Le mot radiesthésie, qui est de création récente — il date de 1929 environ — signifie littéralement : Sensibilité aux radiations.

— Aux radiations...

— Mais oui. Tout être, tout objet, toute matière émet des radiations. Nieriez-vous celles qu'émettent les corps radio-actifs, comme le radium ? Et les ondes hertziennes, les rayons X, les rayons ultra-violets ? Radiations...

— D'accord, celles-là sont bien connues; mais il n'est guère prouvé que l'eau, par exemple, émette des radiations.

— La baguette et le pendule, cher monsieur, le prouvent suffisamment.

— A propos, comment se comportent ces accessoires dans les mains du sourcier, lorsque celui-ci tombe sur l'objet de ses recherches?

— S'il s'agit de la baguette, tenue à deux mains, cet instrument se redresse ou s'abaisse, c'est-à-dire se tord de lui-même vers le ciel ou vers la terre. S'il s'agit du pendule, celui-ci se met à tourner ou à osciller. Mais, encore une fois, ce mouvement apparent n'est que l'indice de l'excitation nerveuse de l'opérateur, laquelle a été produite par la présence de l'eau — si c'est de l'eau que l'on recherche — puis s'est transmise à l'instrument. Certains sourciers arrivent non seulement à déterminer l'emplacement de l'eau, mais aussi son débit, sa nature, et à quelle profondeur elle se trouve.

— Fichtre! Et... Ils ne se trompent jamais, ces... Sourciers ? Excusez-moi, j'allais dire : Sorciers.

— On enregistre des échecs, c'est évident, surtout chez les débutants qui ne savent pas encore se servir de leurs instruments. Mais en règle générale, le « flair » d'un sourcier bien entraîné est infaillible.

— C'est merveilleux !

— Pas du tout. C'est très simple. La sourcellerie se prouve, s'explique...

— Son mécanisme, soit; mais ses ressorts secrets ? Cette excitation nerveuse... ?

— A-t-on, jusqu'ici, expliqué le feu, l'électricité ? On les constate et on les exploite, sans plus. Nos détracteurs et ceux qui — le plus souvent par paresse — affichent à notre égard cette attitude facile : le scepticisme, sont nombreux, je le sais. Mais il en fut de mème lors de l'apparition de toutes les nouveautés. On ne voulait pas croire, dans leurs débuts, à la T. S. F., à la télévision. Le chemin de fer, l'avion, le sous-marin semblaient chimériques quand ils n'étaient encore que sur plan. Rappelez-vous les luttes qu'eut à soutenir Eiffel quand il voulut construire sa Tour... Ah ! la routine est une bien profonde ornière dont il est difficile, parfois héroïque, de faire sortir l'humanité !

Une science ?

— Mais la radiesthésie n'est pas une nouveauté...

— Si, dans sa forme actuelle, qui est vraiment scientifique. D'ailleurs, quand vous saurez que M. le professeur d'Arsonval, MM. Gabriel Bertrand, Deslandres, Camichel, Lallemand, tous de l'Institut, font partie du Comité d'Honneur de l'Association scientifique française de radiesthésie, vous n'aurez plus aucun doute, j'en suis persuadé, sur le caractère profondément sérieux que revêt, de nos jours, l'évolution de la radiesthésie. De tels noms imposent le respect.

— J'en conviens bien volontiers. Cependant, il me semble que la radiesthésie frôle dangereusement, parfois, l'empirisme. Et puis, ces recherches de trésors enfouis... Que voulez-vous, je trouve cela enfantin, moi !

— Vous avez tort. Si l'on part de ce principe que tous les corps, donc les métaux, émettent des radiations qu'il est possible de capter et d'identifier, le fait de rechercher la présence dans le sol de masses métalliques n'a rien de ridicule. Or un trésor, ce n'est pas autre chose le plus souvent qu'un amas de pièces d'or, soit une masse d'or. La recherche des gisements de minerai, avec celle de l'eau, est la plus ancienne qui soit.

— Et quelles sont encore les possibilités qu'offre la radiesthésie ?

— Elles sont infimes, cher monsieur. Mais on peut les classer comme suit :
Recherche des cavités, des choses cachées, quelles qu'elles soient.
Recherches médicales : diagnostic des maladies, détermination des remèdes appropriés.
Enfin, il y a des applications assez spéciales de la radiesthésie. Par exemple, l'identification des tableaux, pratiquée de cette manière par Van der Cruyssen, Marignane...

— Une question : Comment le radiesthésiste peut-il savoir, quand son instrument se met à remuer, qu'il se trouve sur une nappe aquifère plutôt que sur un filon de cuivre ou que sur un gisement de pétrole ?

— Pour identifier à coup sûr sa trouvaille, l'opérateur dispose de deux méthodes : la méthode mentale et la méthode physique ou des témoins.

— La première est personnelle et réside dans ce que l'on appelle un « accord mental », une sorte d'entraînement de l'esprit, si vous préférez.

— La seconde est omnibus et consiste à se munir d'un échantillon témoin de la matière recherchée. L'opérateur agit là par syntonisation, ou accord entre deux matières identiques. Exempte : Dans la recherche de l'eau, on tiendra à la main un petit tube rempli d'eau. Grâce à cette précaution il n'y aura pas de méprise.

Espoirs...

— Tout cela est fort joli, mais... Les recherches à distance, dont j'ai entendu parler ?

— La téléradiesthésie ? Rien de plus clair. L'expérience a démontré que la distance n'influe pas sur la perception des radiations. Dans ces conditions, on peut aussi bien « détecter » des ondes émises à plusieurs kilomètres qu'à quelques mètres.

— Mais ces « recherches sur plan »...

— Précisément, elles sont du ressort de la téléradiesthésie. Mais l'image n'intervient là que comme une sorte de relais entre le cerveau de l'opérateur et l'objet de ses recherches..

— Je suis émerveillé. Que d'horizons nouveaux nous ouvre la radiesthésie ! En somme, si cette science était au point, chacun de nous pourrait, à l'aide d'un petit instrument de rien du tout, acquérir fortune et santé. Vous l'avouerais-je ? Je suis même un peu effrayé Que de bouleversements, inattendus amènerait dans la société la pratique généralisée de la radiesthésie ! Plus besoin de médecins... Les criminels et les notaires en fuite seraient retrouvés à coup sûr, ainsi que tout objet perdu... N'arriverait-on pas aussi à lire dans la pensée d'autrui, en lui auscultant le cerveau au pendule ?

— Ne raillez pas. Si la critique est facile, l'art, l'est beaucoup moins. Nous nous efforçons, de très bonne foi, de doter l'humanité d'un outil nouveau : Il ne faut pas nous décourager, ni rejeter a priori ce qui n'est pas encore prouvé d'une façon formelle. Certes, la radiesthésie nous donne de grands espoirs,, mais je ne vois pas en quoi l'amélioration de la condition humaine peut être envisagée sous un angle catastrophique. Songez à l'incrédulité de nos ancêtres, si on leur avait dit qu'un jour on se verrait, on s'entendrait à des kilomètres de distance !

- C'est sur ces bonnes paroles que mon entretien avec M. L... se termina. Il m'avait laissé rêveur; et comme je viens de vous le rapporter aussi fidèlement que possible, je suppose, chères lectrices, qu'il vous a produit le même effet.

La semaine prochaine : Je suis contre la radiesthésie.

Louis Sonneville

Nouveauté, 4 septembre 1938